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Drancy (frz.)

Eigene Texte > 2001

Comment préserver la Cité de la Muette à Drancy, haut-lieu de l’histoire de l’architecture moderne et lieu de mémoire du camp de déportation
Un témoignage de Gabi Dolff-Bonekämper


Je viens d’apprendre que le seul bâtiment qui subsiste de la Cité de la Muette des architectes Marcel Lods et Eugène Beaudoin à Drancy est en danger de défiguration totale, malgré l’instance de classement pour un an dont il a fait objet depuis l’année dernière. La société propriétaire veut changer finalement toutes les menuiseries et éléments préfabriqués en béton, en métal et en bois de Jean Prouvé contre des éléments neufs en PVC différent en couleur, composition et structure de l’original. Une travée témoin seulement serait gardée pour rappeler l’oeuvre de 1932/34. C’est à dire que la valeur architecturale et artistique du bâtiment sera détruite.

Conservateur de monuments historiques à Berlin, je prends la parole dans ce cas parceque, à mon avis, Drancy est un monument européen, autant de l’histoire internationale de l’architecture moderne que de l’histoire du XXe siècle, conflictuelle et parfois dure à garder en mémoire, qui concerne tous les peuples involvées dans la déportation
. Je suis co-responsable de plusieurs projets communs sur le patrimoine du XXe entre le Landesdenkmalamt à Berlin, la DRAC Ile de France et la direction de l’architecture et du patrimoine. Le text suivant reprend les reflexions des réunions d’experts du Conseil de l’Europe sur le patrimoine Européen, auxquelles j’ai contribué, mais il se comprend comme un témoignage radicalement personnel.

En 1998, je préparais un livre sur l’exposition internationale d’architecture de 1957 à Berlin, à laquelle avaient contribué Eugène Beaudoin et Raymond Lopez. Leur tour d’habitation de 15 étages me semblait avoir des précurseurs dans l’oeuvre d’avant-guerre de Beaudoin avec son partenaire antérieur, Marcel Lods. La littérature sur l’architecture du 20e siècle en France m’avait indiqué un projet important des années 1932/34, où on avait construit des tours à 16 étages, dans la Cité de la Muette à Drancy en banlieue Parisienne. Je fus ravie de ma découverte et j’essayais alors de trouver des renseignements sur le sort du projet, si les bâtimets existaient encore et en quel état. Des amis anglais m’apprenèrent peu après, que la Cité avait servi comme camp de déportation pendant l’occupation Allemande, et qu’on l’eut démoli apès la guerre.

L’histoire aurait pu s’arrêter là, si je n’avais pas rencontré Pierre Vago, lui-même un des contributeurs à l’exposition de 1957 à Berlin. Il me dit que au contraire, tout était encore sur place à Drancy, son ”tout” étant la partie de la cité qui avait été le camp, des bâtiments bas qui entourent une grande cour en forme d’U. Le reste, les fameuses tours à 16 étages inclus, aurait été démoli pour cause de leur mauvais état de préservation pendant les années 1970. J’ai alors décidé d’aller voir de mes propres yeux ce lieu. Le trouver fut déjà une aventure à part, la littérature ne donnant pas d’adresse. Ni les architectes ni les conservateurs que je connaissais ne pouvaient m’indiquer le chemin. La Cité de la Muette sembla être en effet un non lieu. J’y arrivais finalement, un Samedi après-midi, au mois de Juin 1998. Pour mieux m’orienter, je demandais conseil à un cycliste, un homme un peu agé, auquel j’expliquais que j’étais venue à cause de l’intérêt architectural des bâtiments.

Il se montra très bien informé de tous les détails de l’histoire de la construction et même de la conversion en camp. Il m’expliqua comment fut placée l’enceinte qui transforma la grande cour en cour de prison et où furent les toilettes et les lavabos, les bâtiments-mêmes étant inachevés, sans sanitaires et sans cloisons - ces-dernières furent mises en place plus tard, suivant le projet original. Ensuite, il me raconta que, jeune garçon de 16 ans, il avait été détenu deux fois à Drancy, une fois libéré peu après, l’autre fois déporté à Auschwitz. Il se trouvait là, témoin survivant du camp, parceque on était Samedi, jour d’ouverture du petit musé de la cité, ou il allait parler de l’histoire de la déportation à un groupe de visiteurs. - Il avait - qui pourrait s’en étonner - identifié mon accent allemand dès le début de notre entretien et, tout en restant aimable et à sa distance, m’invita de joindre le groupe qu’on attenda plus tard.

Je fis alors un grand effort pour me re-concentrer sur l’architecture. Suivant les bâtiments sous l’abri de l’auvent qui longe toute la cour, j’essayais de comprendre l’emploi original des locaux communs du rez-de chaussée. Les menuiseries anciennes en acier, très minces et élégantes, étaient préservées. J’admirais la logique de cette architecture rigoureusement moderniste, que Lods et Beaudoin avaient développé pour leur dernier grand projet de logement social, commissionné par Henry Sellier, le père des cités jardins Parisiennes. Mais plus je regardais les bâtiments, plus j’appréciais leur cohérence esthétique et fonctionelle, plus je me sentais envahie par la mémoire - ou plutôt, parce que je n’en savais rien de précis, l’imagination - du camp. Les deux génies du lieu s’étaient réunis dans mon esprit pour devenir inséparables.

Il est difficile de préciser en quoi consiste le lien entre le lieu de mémoire du camp de déportation et l’oeuvre architecturale de Lods et Beaudoin et Prouvé. On pourrait même soutenir, qu’il faut strictement séparer les deux choses, juger à part la valeur historique du lieu de mémoire et la valeur architecturale des bâtiments. On pourrait dire que l’essentiel de la cité a disparu - les tours, les bâtiments en peigne et en cour - et que le reste ne vaut plus une protection. L’architecture deviendrait alors un élément accidentiel du lieu de mémoire, qui, lui, est certainement de la plus gande valeur historique. Admettons qu’il ne serait sûrement pas moins important, s’il se trouvait dans une architecture banale de barraques. Mais il se trouve dans ce qui reste de la cité de logement social la plus moderne des années trente en France, lieu d’innovations techniques et logistiques, qui préfigure les grands projets d’habitation sociale des trentes glorieuses de l’après-guerre. Ce sont les mêmes bâtiments, conçus, dessinés et construits avec effort et maîtrise, qui devinrent les parois du camp.

A mon avis, la séparation des deux choses n’est possible que si on reste dans l’espace abstrait d’un discours méthodique. Dès qu’on se rend sur place, on ne peut plus ignorer l’unité du lieu. C’est l’unité du lieu qui fait le lien. Nous ne nous trouvons pas devant deux entités, mais devant un seul monument historique à caractère double et ambigu. Ceci implique des conséquences qui peuvent heurter: qui défigure l’architecture de Lods, Beaudouin et Prouvé, défigure le lieu de mémoire du camp. Qui défend maintenant les menuiseries originales et les éléments préfabriqués de Jean Prouvé contre la défiguration se retrouve dans une situation paradoxale: il - ou elle - défend les qualités esthétiques et architecturales d’un lieu de déportation. Le reproche de cynisme ne sera pas loin. D’autre part: où est le mérite, si le lieu de déportation est rendu laid? Et le travail était déjà en cours! La protection a été votée d’urgence, quand - et parceque - la société propriétaire avait déjà changé une bonne partie des éléments Prouvé.

Mais la préservation du reste ne semble pas non plus assurée. La société avait préparé le chantier bien évidemment sans consédérations conservatrices, n’accepte pas les conséquences du classement. Elle veut continuer les travaux et propose de préserver la dite travée témoin. Pour voir l’effet qu’un telle travée peut avoir, il faut visiter la Cité des Champs d’Oiseaux à Bagneux, oeuvre precédente de Lods et Beaudoin de 1930, qui n’est plus reconnaissable, sauf par le nom du square Marcel Lods.

Il est évident que la révision du chantier de la Cité de la Muette va couter cher. Un nouveau projet qui respecte les valeurs originales demande un travail supplémentaire. Mais ça vaut la peine! Après la prise de concience pour la valeur du patrimoine du XXe siècle qui se répand en France depuis quelques ans, patrimoine auquel appartient sans aucun doute l’oeuvre de Lods et Beaudoin autant que celui de Jean Prouvé, on ne peut plus assister à la défiguration totale d’un exemple majeur de l’architecture du mouvement moderne. Et encore dans l’année où on fête le centenaire de Jean Prouvé avec une exposition au Pavillon de l’Arsenal à Paris!

Tous les partenaires de ce conflit doivent se réunir dans un effort collectif pour résoudre les problèmes. Pour soutenir cette cause, il faut un débat publique auxquel je vous propose de prendre part. S’il vous est difficile d’accepter la situation paradoxale décrite plus haut, c’est à dire de défendre les qualités architecturales d’un lieu de déportation, je ne peux que vous donner raison. C’est difficile. Mais il faut le faire.




Gabi Dolff-Bonekämper. 21 Mai 2001


In: docomomo France, Bulletin No. 6, Juillet 2001, p. 2-3.

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